Aliments ultratransformés : un tournant pour l’industrie des ingrédients alimentaires ?

Les aliments ultratransformés dans le viseur de l’ANSES

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a publié fin janvier 2025 une analyse approfondie sur les effets des aliments dits ultratransformés (AUT) sur la santé. Commandée par la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et la Direction générale de la santé (DGS), cette expertise scientifique met en évidence des liens clairs entre la consommation d’AUT et le risque accru de maladies chroniques non transmissibles, telles que l’obésité, le diabète de type 2 et certains cancers.

Au cœur de cette alerte, la transformation excessive des aliments et l’utilisation d’additifs ou de procédés industriels susceptibles de générer des substances néoformées aux effets délétères sur la santé. Pour les producteurs d’ingrédients alimentaires, ce rapport soulève des questions stratégiques majeures : comment répondre aux attentes du marché tout en limitant l’impact sanitaire des transformations industrielles ?

Des procédés industriels sous surveillance

L’ANSES met particulièrement en avant le rôle des procédés de transformation dans la formation de substances nocives. L’évaluation repose sur plusieurs critères, notamment la température, la durée du traitement, la pression appliquée, et l’utilisation de rayonnements ionisants ou ultraviolets.

Les procédés les plus à risque ? La torréfaction, la friture, la cuisson-extrusion et la stérilisation à haute température. Ces techniques, couramment utilisées dans l’industrie agroalimentaire pour prolonger la durée de conservation ou améliorer la texture et la saveur des aliments, sont aussi celles qui favorisent la formation de composés potentiellement toxiques, comme l’acrylamide, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les nitrosamines.

Ce que cela signifie pour les fabricants d’ingrédients :

  • Il devient impératif d’évaluer l’impact des procédés de transformation sur la qualité des ingrédients et de privilégier des alternatives plus douces (extraction à froid, fermentation, stabilisation par haute pression hydrostatique, etc.).
  • La reformulation des produits doit intégrer une approche proactive visant à limiter les réactions de Maillard et la formation de substances néoformées.
  • L’optimisation des conditions de production et la diversification des itinéraires technologiques deviennent des leviers stratégiques pour minimiser les risques tout en préservant les propriétés fonctionnelles des ingrédients.

Vers un repositionnement des ingrédients ?

Le rapport de l’ANSES pointe également du doigt l’usage massif des additifs alimentaires et des auxiliaires technologiques dans les aliments ultratransformés. Plus de 300 additifs sont actuellement autorisés en Europe, classés en différentes catégories (colorants, conservateurs, édulcorants, émulsifiants, etc.), dont certains sont régulièrement remis en cause pour leurs effets sur la santé.

L’enjeu pour l’industrie des ingrédients est double :

  1. Réduire l’usage des additifs controversés en développant des alternatives naturelles, comme les extraits végétaux riches en antioxydants, les fibres alimentaires, ou encore les protéines texturées issues de sources végétales.
  2. Repenser la formulation des ingrédients pour qu’ils soient perçus comme des composants sains et « clean label », tout en conservant leurs propriétés fonctionnelles et leur stabilité.

Certaines entreprises explorent déjà des solutions innovantes pour contourner les contraintes posées par la classification des AUT. Par exemple, l’utilisation de procédés enzymatiques pour remplacer les émulsifiants de synthèse, ou encore l’intégration de fermentations naturelles pour améliorer la conservation sans additifs chimiques.

Le défi de la perception et des réglementations à venir

Les recommandations de l’ANSES s’inscrivent dans un mouvement global visant à mieux encadrer la consommation d’aliments ultratransformés. En France, par exemple, le Programme National Nutrition Santé (PNNS) recommande déjà de limiter leur consommation, et des initiatives réglementaires pourraient suivre pour imposer un meilleur étiquetage, voire des restrictions sur certains procédés ou ingrédients.

Dans ce contexte, l’industrie des ingrédients alimentaires doit anticiper :

  • Transparence accrue : Mettre en avant la traçabilité des matières premières et la naturalité des procédés utilisés.
  • Communication repensée : Éduquer les industriels et les consommateurs sur la différence entre transformation nécessaire (pour garantir la sécurité alimentaire) et transformation excessive (susceptible de nuire à la santé).
  • Investissement en R&D : Explorer des alternatives à fort potentiel, comme les protéines végétales peu transformées, les fibres fermentées, ou les extraits botaniques fonctionnels.
  • Valoriser la valeur nutritionnelle de l’ultra-transformation : parfois, la transformation et même l’ultra-transformation peuvent se justifier si elles apportent une valeur ajoutée réelle sur un plan nutritionnel. Elle n’est cependant pas une fin en soi, au contraire des priorités nutritionnelles officielles.

Recommandations pour les acteurs du secteur

Face à ces enjeux, voici les axes stratégiques à privilégier pour, vous, les producteurs d’ingrédients alimentaires :

  • Privilégier des procédés de transformation douce : Réduire la température et la durée des traitements thermiques, limiter les solvants chimiques, favoriser l’extraction mécanique ou enzymatique.
  • Développer des alternatives naturelles aux additifs : S’orienter vers des solutions clean label, comme les hydrocolloïdes naturels, les conservateurs d’origine végétale et les protéines texturées sans additifs synthétiques.
  • Adopter une démarche proactive de reformulation : Tester de nouvelles matrices alimentaires pour réduire la dépendance aux procédés de transformation intensifs et aux ingrédients de synthèse.
  • Valoriser les bénéfices nutritionnels des ingrédients : Intégrer des ingrédients fonctionnels ayant un impact positif sur la santé (fibres prébiotiques, peptides bioactifs, ferments lactiques, etc.).
  • Anticiper l’évolution réglementaire et sociétale : Collaborer avec les instances scientifiques et les régulateurs pour définir des standards de transformation qui garantissent la sécurité et la qualité nutritionnelle des produits.

Conclusion : un tournant pour l’industrie des ingrédients alimentaires

Le rapport de l’ANSES sur les aliments ultratransformés impose une remise en question profonde des pratiques industrielles. Pour les producteurs d’ingrédients, c’est une opportunité unique de redéfinir leur rôle dans la chaîne alimentaire en proposant des solutions plus naturelles, plus sûres et plus transparentes.

L’innovation devra désormais rimer avec responsabilité, car l’avenir de l’industrie alimentaire passera inévitablement par une transformation… mais cette fois, dans le bon sens du terme.

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